Quel avenir pour le gaz de schiste en France?

Site de forage à Bakken dans le nord des Etats-Unis

Site de forage à Bakken dans le nord des Etats-Unis

Alors que les productions américaines de gaz de schiste ont atteint des sommets en 2013 (près de 9 Milliards de mètres cubes par jour), renforçant ainsi l’objectif d’indépendance énergétique du pays, la France demeure assez timide quant au développement de cette économie. Des voix commencent cependant à s’élever, évoquant l’idée de forages prospectifs et demandant un moratoire, bien que l’opinion publique demeure majoritairement opposée à de tels projets. Comment expliquer cette tendance et quelle est la position de nos voisins européens ?

Qu’est ce que le gaz de schiste ?

Le gaz naturel, majoritairement composé de méthane, est la troisième source d’énergie primaire dans le monde derrière le pétrole et le charbon, avec une part proche de 25% en 2013. Il existe à l’heure actuelle deux grandes catégories de gaz : les gaz dits conventionnels et non conventionnels. Les premiers cités sont contenus dans des roches relativement perméables, ce qui n’est pas le cas des seconds. Ces gaz non conventionnels peuvent être des gaz de schiste (contenus dans des roches-mères très argileuses) mais aussi des gaz de houille (emprisonnés dans du charbon) ou de réservoir compact (qui ont migré dans une roche réservoir au cours d’un processus géologique). Ils sont par conséquent beaucoup plus difficilement accessibles, ce qui engendre le déploiement de techniques de forages controversées, comme nous le verrons en détail par la suite.

Les Etats-Unis ont été les pionniers dans l’extraction des gaz non conventionnels. Les premières infrastructures ont commencé à voir le jour en 2005 avant que la production ne décolle vraiment en 2008. Le pays a su profiter à la fois d’un droit minier relativement favorable et également de sous-sols riches en gaz où la densité de population était très faible, donc propices à de multiples forages. Le graphique suivant nous montre clairement l’impact économique positif sur la balance commerciale américaine avec une réduction des importations nettes de plus de 60% entre 2007 et 2013. Le gaz de schiste représente aujourd’hui 25% du gaz naturel produit sur le territoire américain. Cette part devrait continuer à augmenter selon le rapport annuel de l’EIA (Annual Energy Outlook 2014), qui prévoit un taux de croissance annuel du gaz de schiste de 2.6% jusqu’en 2040.

Natural Gas Trade summary

Source : US Energy Information Administration (EIA)

 

Une méthode d’extraction controversée

Pour exploiter ces gaz non conventionnels, et en particulier le gaz de schiste, la technique mise en œuvre est la fracturation hydraulique (fracking en anglais). Cette technique consiste grossièrement à injecter à très forte pression un mélange d’eau, de sable et d’additifs chimiques (à hauteur de 0.5%) afin de fracturer la roche à d’importantes profondeurs (environ 2500m) dans le but de récupérer le gaz contenu dans celle-ci. Les graphiques ci-dessous montrent qu’un puits de gaz non conventionnel a perdu 90% de sa capacité initiale après seulement 6 années à comparer ici à une durée d’exploitation constante de 30ans pour du gaz conventionnel. On comprend alors rapidement l’avantage des grandes plaines américaines permettant de pouvoir forer de nouveaux puits en permanence.

Profil d’exploitation d’un puits de gaz conventionnel

Profil d’exploitation d’un puits de gaz non conventionnel

De nombreux collectifs écologistes dénoncent depuis plusieurs années ces méthodes mises en œuvre par les industriels gaziers américains, et ce pour plusieurs raisons. En effet les quantités d’eau utilisées pour la fracturation sont gigantesques, à savoir près de 15 000mpour chaque puits. La longue liste d’additifs chimiques (près de 600 produits !), ayant pour principal but de faciliter l’écoulement du gaz à travers la roche, effraie également le grand public. Cette liste avait d’ailleurs longtemps été tenue secrète par les industriels, preuve de l’opacité du secteur. On retrouve en effet de nombreux acides ainsi que plusieurs substances classées CMR (Cancérigène-Mutagène-Reprotoxique). Il est intéressant – et inquiétant – de noter que seul un tiers de ce mélange initialement introduit dans le puits remonte à la surface, d’où une évidente contamination du sous-sol par ces produits. L’eau remontant à la surface doit ensuite être retraitée avec précaution puisque le mélange introduit engendre également des remontées de métaux lourds et d’éléments radioactifs initialement présents dans le sous-sol. A noter que la nappe phréatique, profonde de quelques centaines de mètres seulement, ne peut être impactée par cette eau résiduelle demeurant dans le sous-sol mais pourrait l’être avec le gaz qui transite via les tuyaux en cas de problèmes d’étanchéités du système comme l’illustre le schéma ci-dessous. L’impact carbone de cette activité est également désastreuse et tend à faire démentir l’éternel argument « Better Than Coal » (mieux que le charbon, au sens que le gaz génère 60% de moins d’émissions directes de CO2 que l’exploitation de charbon) si l’on considère l’intégralité du cycle de vie lié au fonctionnement du puits : transport des machines, flux logistique des camions pour approvisionnement en eau, construction d’infrastructures de retraitement…

Fracking issues

Source : British Geological Survey

 

Le documentaire Gasland (réalisé par Josh Fox en 2010) a eu le mérite de susciter l’intérêt de l’opinion publique à ce sujet, en dénonçant les impacts environnementaux causés par ces grandes multinationales, en particulier en ce qui concerne le retraitement de l’eau usagée et la pénétration de gaz dans les nappes phréatiques. L’image choc de la flamme sortant du robinet chez un fermier américain résidant à quelques centaines de mètres d’un site de forage est aujourd’hui un véritable boulet au pied des lobbyistes du gaz de schiste, tout du moins en Europe. Ainsi, en France, la loi du 13 juillet 2011 interdit la technique de fracturation hydraulique mais autorise tout de même la recherche de techniques alternatives, sans résultat concret à l’heure actuelle.

Une Europe divisée

Contrairement aux Etats-Unis, les pays européens ne se sont pas engagés pleinement dans l’exploitation du gaz de schiste. Deux principales raisons à cela : l’afflux de gaz conventionnels provenant de bassins historiques (Russie et Mer du Nord) et des sous-sols bien moins prometteurs que ceux Outre-Atlantique.

Deux principaux courants s’affrontent aujourd’hui en Europe: d’un côté les pros gaz de schiste (Pologne, Grande-Bretagne et Ukraine) et de l’autre des pays plus sceptiques comme la France et la Bulgarie. La position de la Pologne peut paraître compréhensible, pour un pays à forte culture minière dont le charbon contribue à 90% de la production d’électricité. Le Royaume-Uni essaye lui de diversifier son mix énergétique au maximum ces dernières années : nucléaire (fourniture de 2 réacteurs EPR), éolien et donc gaz non conventionnels aujourd’hui. Le graphique suivant met en évidence les zones d’intérêt potentielles pour les forages ainsi que les différentes politiques vis-à-vis des gaz non conventionnels au sein de l’Europe.

Bassins Schiste Europe

Source : Union Française des Industries Pétrolières

L’exploitation des gaz non conventionnels sur le territoire américain a également eu un impact sur l’économie internationale. Ainsi, la consommation des gaz de schiste aux Etats-Unis a provoqué une importante augmentation de ses exportations de charbon, induisant un effondrement du prix du charbon en Europe face à cette offre massive. Ceci explique le fait que le charbon ait alors peu à peu supplanté le gaz dans le mix électrique de nos voisins, qui eux ne disposent pas d’une importante base de nucléaire. La création d’un système d’attribution de quotas de CO2 dans l’Union Européenne -qui n’est rien d’autre qu’une bourse du carbone- est aujourd’hui loin de dissuader ces politiques énergétiques avec un prix de la tonne de CO2 qui a été diminuée par 4 depuis son véritable lancement en 2008.

Des interrogations sur le réel potentiel du sous-sol

Selon un rapport de l’EIA en Juin 2013 (« Technically Recoverable Shale Oil and Shale Gas Resources »), les réserves en France seraient 20% plus faibles que les prévisions de l’UFIP. Ces chiffres sont donc à prendre avec des pincettes, la seule solution pour déterminer le potentiel exact étant de forer directement. En effet, les estimations sont réalisées à partir d’expertises géologiques déterminant les roches en présence et donc les hydrocarbures supposés qu’elles renferment. Néanmoins ces hydrocarbures ont pu migrer depuis la formation de la Terre. Le taux de récupération du gaz réellement présent est lui aussi hautement spéculatif puisqu’il dépend de la mobilité du gaz dans cette roche qui n’a encore jamais été forée.

L’exemple de la Pologne, qui a été le premier pays européen à débuter les forages d’exploration, témoigne de cette incertitude. Il s’avère que les réserves réelles sont en réalité 10 fois moins importantes que les réserves estimées initialement et les conditions de forage sont extrêmement difficiles. De nombreux groupes pétroliers (Total, Exxon Mobil…) se sont ainsi retirés du pays, les projets n’étant pas économiquement viables. Plusieurs experts remettent également en cause les prévisions de l’EIA sur l’exploitation de gaz non conventionnels sur le territoire américain. C’est le cas du canadien David Hugues, qui en 2013 avait déjà pointé du doigt les estimations de l’EIA –qui s’étaient avérées bien trop optimistes- sur le site de Monterey en Californie. Le graphique ci-dessous oppose sa vision et celle de l’EIA sur la production américaine jusqu’en 2040. Restons donc prudent quant au potentiel réel de notre sous-sol.

 

Source: Post Carbon Institute

Source: Post Carbon Institute

Quels apports pour la France ?

La France consomme environ 50 Milliards de m3 de gaz naturel chaque année. 58% de cette quantité est dédiée au chauffage résidentiel et tertiaire tandis que la part restante est principalement consommée par les industries (26%) et par la branche énergie (11%, notamment pour la production d’électricité des centrales thermiques). En 2013, le gaz naturel, importé à hauteur de 99% -le gisement de Lacq contribuant à la production nationale- venait principalement de Norvège (38%), des Pays-Bas (15%) et de Russie (14%). Les récentes tensions géopolitiques entre l’Ukraine et la Russie ont relancé le débat sur la sécurité des approvisionnements en Europe de l’Ouest, la France étant « au bout du pipe-line ».

C’est dans ce cadre que l’exploitation du gaz de schiste pourrait réduire la dépendance vis-à-vis de la puissante Russie, les gisements en Mer du Nord étant sur le déclin depuis quelques années. Cela pourrait alors permettre de sécuriser l’approvisionnement en gaz naturel, et également conférer davantage de poids lors des négociations de prix. A ce sujet, la politique française qui était de signer des contrats long-terme avec ses fournisseurs (engagements d’achat sur plus de 20 ans à des prix indexés sur le cours du pétrole) tend à évoluer en intégrant une indexation sur le prix des marchés de gros (marchés spot), qui sont régulés par la simple loi de l’offre et de la demande. Ces prix demeurent cependant extrêmement volatils. Selon l’INSEE, les importations de gaz naturel ont alourdi à elles seules la balance commerciale de la France de 14.3 Milliards d’euros en 2012.

Un modèle difficilement transposable

Le système américain paraît pourtant peu reproductible sur notre territoire, ne serait-ce qu’en termes d’infrastructures. Le réseau de pipe-lines présent aux Etats-Unis est en effet éprouvé depuis plusieurs décennies, les puits étant espacés d’environ 1km (comme l’illustre la photo ci-dessous), ce qui est définitivement incomparable au réseau français. De plus, il s’avère que les potentielles réserves sont implantées dans le bassin parisien et le sud-est de la France, zones densément peuplées. On voit alors mal comment développer une telle industrie dans de pareilles conditions. Enfin, le droit minier français est extrêmement réglementé : c’est l’État qui attribue les droits et un délai d’usage et qui fixe les conditions d’exploitation, contrairement aux USA où le propriétaire de la surface est le propriétaire du sous-sol. Ce dispositif permet d’encadrer les exploitations du sous-sol et de prévenir les éventuelles nuisances de celles-ci.

champ de puits

Photo aérienne d’un champ de puits de gaz non conventionnels au cœur des USA

 

Il est également intéressant de noter que le sous-sol européen ne regorge pas de gaz de réservoir compact, le fameux tight gas, qui représente plus de la moitié des gaz non conventionnels produits aujourd’hui aux USA. Les éventuelles rentes ne concerneraient donc que le gaz de schiste ici.

Un futur incertain

Alors que certains politiques relancent l’idée de forages prospectifs sur notre territoire pour doper l’économie nationale en cette période morose, l’éclosion de l’exploitation de gaz de schiste ne semble pas d’actualité à l’heure où l’on parle.

La problématique principale n’est pas d’anticiper les approvisionnements nécessaires à notre consommation future mais bien de réduire drastiquement notre consommation actuelle. Les récents débats sur la transition énergétique semblent donner la priorité –et ce à juste titre– aux  problématiques d’efficacité énergétique dans les bâtiments résidentiels, qui comme nous l’avons vu précédemment sont les principaux consommateurs de gaz naturel. Les rapports des experts sur le climat (GIEC) sont de plus en plus alarmants, et l’incitation aux forages apparaitrait alors comme totalement absurde dans l’objectif national de diminution des émissions de CO2. Au contraire, le développement de la géothermie, permettant une réduction de la consommation de gaz, semble être une piste plus intéressante à encourager. Cela permettrait par ailleurs d’alléger la balance commerciale, véritable fardeau de l’économie française aujourd’hui. L’important est une nouvelle fois de savoir comment dépenser l’argent public de manière efficace et de donner des priorités à notre politique énergétique.

Certains observateurs estiment de leurs côtés qu’il est pour l’instant préférable de temporiser jusqu’à ce qu’une technologie mature et bien plus propre se substitue à la fracturation hydraulique. Il n’est en effet pas à exclure qu’un procédé soit découvert dans les prochaines années.

Néanmoins, la puissance des lobbies du secteur est à prendre en considération. Il apparaît donc évident que ce débat est loin d’être clos au vue des mannes financières dont il est question. Certains groupes industriels comme Total, qui ne se sont pas engouffrés initialement dans le secteur du non conventionnel, sont aujourd’hui prêts à miser gros en Europe pour rattraper leur retard. Le retour sur investissement est en effet beaucoup plus rapide pour une exploitation de gaz de schiste que pour du gaz conventionnel en raison des différents profils des puits de production. De fait, aux taux d’actualisation relativement hauts pratiqués sur ce marché (~10%), le coût du capital investi est bien plus faible pour une courte exploitation que sur du long-terme.

D’un point de vue global, la non-prise en compte des externalités environnementales paraît aberrante dans un dossier aussi épineux que celui du gaz de schiste. Le prix de la tonne de CO2 sur le marché européen dépassant péniblement les 6€ aujourd’hui peut légitimement nous laisser perplexe quant à la réelle volonté des gouvernements de lier les problématiques économiques et écologiques.

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